FAREMOUTIERS
Jean Perrin, poète de la lumière
par Dominique CAMUS
(extrait)
La cloche tinte au portail du presbytère. Jean Perrin apparaît sur les marches du perron, grand, svelte, soutane au vent, le regard profond comme celui de ceux qui ont entamé depuis longtemps un dialogue entre le dehors et le dedans. Des êtres qui ont la foi se dégage une sérénité qui me trouble toujours ; de plus, je sais Jean Perrin poète, ce qui me touche d’autant. Un bouquet de myosotis est une présence discrète dans son bureau-bibliothèque aux murs couverts de livres, d’estampes, de dessins, de tableaux. Nombreux sont les livres dédicacés par ses amis poètes, écrivains, artistes. Très vite, j’ai la sensation d’entrer chez un bibliophile, chez un abbé pas comme les autres.
« Mon père, qu’est-ce qui à fait de vous un abbé poète ?
– Ma mère et ma marraine m’ont raconté que, dès l’âge de quatre ou cinq ans, j’avais dit vouloir être prêtre comme le petit Jésus et que je m’étais allongé par terre les bras en croix. Cette vocation, née à l’aube de ma vie, je ne me la suis jamais expliquée.
« De 1920 à 1924 j’ai été à la maîtrise de Notre-Dame. Ces années représentent un moment exceptionnel de ma vie. Nous faisions partie des pierres, je peux même dire qu’on respirait les pierres. Je me souviens qu’un soir, à la Toussaint, on chantait dans la cathédrale et qu’à cet instant j’ai éprouvé un bonheur physique extraordinaire. Quand ensuite je suis arrivé au petit séminaire de Meaux, ce n’était pas du tout la même chose. La dimension ressentie à Notre-Dame s’était évanouie. En 1927, je suis entré au grand séminaire de Meaux ; j’ai été nommé vicaire à Provins, puis à Chevry-Cossigny. Curé de Faremoutiers et de Pommeuse depuis 1945, j’en suis toujours le desservant. Le fait que je sois resté en ce même lieu surprend souvent. Pourquoi aurais-je changé ? J’aimais aremoutiers. Il n’y a pas si longtemps j’ai baptisé un enfant dont j’avais baptisé la grand-mère !
– Vous avez donc une longue histoire avec cette ville, née il y a treize siècles, dans l’ombre de l’abbaye de Sainte-Fare ?
– Rapidement je me suis intéressé à son passionnant passé. J’ai travaillé avec des historiens et nos travaux ont abouti au classement de l’église. Jonas de Bobbio, disciple de Bède le Vénérable, et comme lui historien de la France monastique de l’époque mérovingienne, est le premier à avoir parlé de Faremoutiers.
– Vous avez écrit l’Histoire poétique et littéraire de Faremoutiers.
– Oui ! et elle est très riche, mais je vais enjamber les siècles pour évoquer Faremoutiers au XIXe siècle, une époque où dans les châteaux de la Tuilerie et des Tourelles, qui existent encore, se côtoyèrent artistes et écrivains. Le premier fut acheté par Constant Coquelin, qui s’y reposait de Cyrano et s’entraînait à camper le personnage de Chantecler, qu’Edmond Rostand avait écrit pour lui. Le second fut de 1892 à 1907 l’un des phares culturels de notre région. Habitée par Léon Blondel, compagnon d’études de Jean Richepin et de Raoul Ponchon, qui vivaient aux Tourelles aux frais et aux dépens du propriétaire, cette demeure vit défiler maints personnages célèbres. Les filles de Léon Blondel m’ont remis une valise entière de courrier de Richepin, principalement à Blondel, consultable aux archives départementales, où j’ai déposé ces lettres classées sous la cote « Papiers Perrin ».
– Vous aimez la musique, et vous avez bien connu le pianiste Yves Nat.
– Il a passé deux étés à Faremoutiers. Dès que j’ai appris l’arrivée de ce virtuose, je suis allé déposer une rose sur le rebord de sa fenêtre. Quelques instants plus tard je le rencontrais. Ce fut un moment extraordinaire. Vous savez, l’amitié n’a pas besoin de grande déclaration. Je crois que l’amitié se respire. Tous les soirs je passais le voir et j’avais un récital. Que d’instants délicieux j’ai passé en sa compagnie. Après sa mort nous avons, sa femme et moi, étudié ses agendas, où étaient Le presbytère de Faremoutiers inscrites une très grande quantité de notes. Je les ai sélectionnées et elles ont été éditées sous le titre les Carnets d’Yves Nat.
– Un abbé poète, c’est rare…
– J’ai commencé à écrire en 1932. Un jour de 1947, sur le conseil d’amis, j’ai envoyé à Paul Fort mes poèmes. Illico il me répondit ceci : “C’est moi qui vous attends à Paris, heureux, très heureux d’accueillir, mains vers vous, cœur ouvert, un très authentique poète, car il faut l’être pour écrire (ou je ne m’y connais pas) : ‘Vêpres sonnent à l’abbaye / Que l’on disait jadis le promenoir des Anges.’ Vous devriez composer tout un livre avec ce titre, « le Promenoir des Anges». Si vous ne le faites pas, je le ferai. Tant pis pour vous, mon cher abbé qui laisse dans le secret des merveilles. »
Extrait de l’ouvrage : La Seine-et-Marne des écrivains, (c) Alexandrines, 2015.
Un être fabuleux ayant procédé à ma communion puis mon mariage.
Mes pensées se tournent régulièrement vers lui
en effet !