ERMENONVILLE
Un promeneur solitaire en Oise : Jean-Jacques Rousseau
par Pierre CHARDAVOINE-ROQUES
(extrait)
Par deux fois l’Oise actuelle fut une terre d’asile, un refuge accueillant pour cet éternel errant, ce promeneur solitaire qu’était Jean-Jacques Rousseau.
À la fin juin 1767, à son retour d’Angleterre, menacé d’une prise de corps, conséquence de la publication du Contrat social et de l’Émile, Rousseau cherche un abri loin de la société publique et mondaine de Paris, société qu’il lui est provisoirement interdit de rejoindre. Un de ses admirateurs, le prince de Conti, propriétaire d’un château à Trye-Château (orthographe de l’époque), près de Gisors, lui offre l’asile. Il accepte et s’y installe sous le faux nom de Jean-Joseph Renou, avec sa compagne Thérèse Levasseur, une lingère qui lui donna cinq enfants, tous confiés à l’hospice, et qu’il présente comme sa sœur. Il cherche en effet à échapper aux recherches toujours possibles des autorités judiciaires, et puis surtout, à 55 ans, son caractère brouillon et sa manie de la persécution obscurcissent de plus en plus son jugement.
Il réside dans ce château de Trie – qui plus tard appartiendra au comte de Gobineau – jusqu’en juin 1768 : «J’écrivais la première [partie des Confessions]avec plaisir,avec complaisance, à mon aise à Wooton ou dans le château de Trye ; tous les souvenirs que j’avais à me rappeler étaient autant de nouvelles jouissances1.» C’est à Trie qu’«infirme et presque sexagénaire, accablé de douleurs de toute espèce», Jean-Jacques clôt le livre VI de la première partie des Confessions. Il n’en goûte pas moins le charme du château et du paysage environnant et se promène sur les bords de la Troësne ou aux alentours du dolmen. Il s’adonne aussi à ses deux autres passions qui sont l’herborisation et la musique. Il fait paraître son Dictionnaire de Musique.
Mais bientôt l’obsession du complot renaît… Ressentant l’hostilité des habitants de Trie qu’il intrigue en effet par son comportement et son accoutrement et repris par son délire de la persécution, il fuit Trie-Château en juin 1768.
Jean-Jacques Rousseau ne reviendra dans l’Oise que dix ans après, le 20 mai 1778. Il a 66 ans, il est vieux, malade. Il pleuremisère1dans son étroit logement de la rue Plâtrière2 àParis et cherche une bonne âme pour assurer son entretien, quand le marquis de Girardin lui propose de venir s’installer dans son domaine d’Ermenonville. Notre homme quitte donc Paris et se rend à son invitation. Sur la route entre Louvres et Ermenonville, il se réjouit de pouvoir contempler une végétation aussi belle et veut descendre de voiture avant d’arriver chez le marquis. Le cocher l’invitant à rester dans la calèche, il répond : «Non ! Il y a si longtemps que je n’ai pu voir un
arbre qui ne fût couvert de fumée et de poussière ! Laissez-moi m’en approcher le plus que je pourrai, je voudrais n’en pas perdre un seul.»
Le marquis de Girardin reçoit son grand homme, entouré de ses enfants qu’il a élevés selon les principes de l’auteur de l’Émile,et l’installe à la droite du château dans un petit pavillon aujourd’hui détruit. Thérèse Levasseur rejoint aussitôt son compagnon.
Rousseau va passer là les dernières semaines de sa vie. Il se sent heureux, libre enfin de toute contrainte professionnelle et matérielle dans ce parc superbe que Girardin avait dessiné «la Nouvelle Héloïse à la main». L’écriture ne l’occupe plus du tout durant ce second séjour oisien. En revanche il semblerait qu’il ait continué à faire quelques petits travaux de musique. Ce copiste devenu maître de musique, dont l’opéra en un acte Le Devin du village avait été joué en 1752 devant le roi, ne disait-il pas que son goût pour la musique «croissait par degrés et bientôt absorba tous les autres. […] Il faut assurément que je sois né pour cet art puisque j’ai commencé de l’aimer dès mon enfance et qu’il est le seul que j’ai aimé constamment dans tous les temps1.» Jean-Jacques Rousseau voulait en donner des leçons aux enfants du marquis, mais sa mort mit fin à son projet.
[…]
Extrait de l’ouvrage : Balade en Oise, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mars 1998.