LE MESNIL-VILLEMAN, COUTANCES, GEFFOSSES
Le paradis des arbres de Remy de Gourmont,
par Thierry GILLYBŒUF
(extrait)
Et pourtant, tout avait bien mal commencé. Le jeune Rémy n’a que huit ans quand, avec sa famille, il s’établit au manoir familial du Mesnil-Villeman, petit village près de Villedieu-les-Poèles, encaissé dans un vallon. S’il s’agit bel et bien d’une sorte de retour aux sources, puisque les Gourmont sont présents dans le Cotentin depuis le xive siècle, cette installation dans la Manche est, dans un premier temps, un déchirement pour l’enfant qui est comme chassé du « paradis » de son enfance, le manoir de Bazoches-au-Houlme, dans l’Orne, demeure de ses aïeuls maternels, où il est né le 4 avril 1858 et où il a vécu jusque là. Mais sept ans après la mort du grand-père paternel, le marquis Louis-Auguste de Gourmont, la question du partage est enfin résolue entre ses quatre héritiers, et les parents de l’écrivain peuvent élire domicile dans la gentilhommière du Mesnil-Villeman qui est dans la famille depuis quatre générations.
À première vue, ce nouveau manoir en impose moins que la majestueuse bâtisse de Bazoches-au-Houlme. L’un des frères de Remy, Henri décrira en détails le « petit manoir entouré d’arbres et même d’arbres rares » du Mesnil-Villeman, situé à la sortie du bourg, au fond d’une longue allée boisée, niché dans un bosquet de hêtres et de châtaigniers, trônant au milieu d’« un jardin étonnant où tout fusionnait : fleurs, fruits, légumes », en bordure d’un étang que sillonnaient divers palmipèdes. C’est indéniablement dans ce décor qu’il va, très tôt, contracter son amour immodéré des arbres, « joies de [s]on triste cœur » auxquels il consacra l’un des plus émouvants poèmes, « Le Dit des Arbres » (1894). Il y a ceux du parc bien sûr, et un peu plus loin, le « petit bois sacré, dont la masse de verdure intense se dessinait comme l’architecture d’une cathédrale sombre et gigantesque », où Remy s’était « fabriqué » une île en détournant le lit d’un ruisseau et où, adulte encore, il aimait venir lire, écrire, jardiner, cultiver les idées et les rêves.
Exception faite des années de pensionnat à Coutances, de vie estudiantine à Caen et des tout premiers séjours à Paris, il habitera le manoir familial du Mesnil-Villeman jusqu’en 1881, date à laquelle il s’installe définitivement à Paris. Mais il ne manquera pas d’y retourner quand l’occasion se présentera, aimant à passer le mois d’août auprès des siens, même si ses visites finiront par s’espacer après la mort de sa mère, en 1899, quand Coutances deviendra sa dernière querencia. C’est là qu’il viendra trouver refuge pour sa convalescence après que le lupus tuberculeux l’eut en partie défiguré.
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Extrait de l’ouvrage : Balade dans la Manche, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mars 2006.