CHERBOURG
Alfred Rossel, le pionnier de la culture populaire du Cotentin,
par Catherine Bougy
(extrait)
Les Chansonnettes normandes d’Alfred Rossel ont franchi les frontières : son célèbre Sû la mé (« sur la mer ») a eu naguère l’honneur d’être chanté devant le pape Jean-Paul II par des pèlerins cherbourgeois ! Cette année encore, j’évoquais l’épisode à mon cours de dialectologie normande : une de mes étudiantes s’est alors levée pour interpréter, sous les applaudissements de ses camarades, cet hymne à la tranquillité de l’homme de la terre face à l’élément déchaîné, qu’avait chanté avant lui le poète latin Lucrèce.
Rien (ou peu de choses) ne prédisposait Alfred Rossel à devenir le chantre du Nord-Cotentin. Cette Normandie rurale des clios et des vaques, où la mer, souvent tempétueuse, n’est jamais loin, c’est un Breton d’origine helvétique qui l’a si bien chantée ! Son père (né à Anvers…) avait un jour posé ses valises de charpentier de marine à Cherbourg et son épouse, Marie Vilquien, une Normande, lui avait donné trois garçons : le dernier, notre Alfred, commença ses jours en 1841 dans la capitale du Cotentin, où il mourut en 1926. Il ne dit rien, dans ses œuvres, de son ancêtre suisse venu s’installer à Brest, de ses arrière-grands-parents et grands-parents brestois, eux aussi charpentiers. Probablement partageait-il avec eux l’amour de ces terres extrêmes qui est sensible dans tous ses poèmes. Voici Landemer, déjà fréquenté par les Parisiens, lors d’Une saisun d’ bains de mé :
[…] L’hivé, no n’y vait personne0 « L’hiver on n’y voit personne
Mais à parti du mais d’moué Mais à partir du mois de mai
Ch’est cuyeux coum’ no z’y vionne C’est curieux comme on y bourdonne
Dans nos maisons tout est loué […] Dans nos maisons, tout est loué. »
Et l’on comprend pourquoi !
Nos poumis qui sont superbes « Nos pommiers qui sont superbes
P’tit à p’tit perdent lû flieurs Petit à petit perdent leurs fleurs,
L’fruit noû sus les cliots’ en herbe ; Le fruit se forme dans les prés en herbe ;
L’air est remplyi d’boun’z’ odeurs ; L’air est rempli de bonnes odeurs ;
L’ciel est blieu, la mé moutonne Le ciel est bleu, la mer moutonne
Et braue en battant l’terrain ; Et écume en frappant la terre ;
Entendou coum’ o marmionne, Entendez-vous son sourd murmure ?
V’la l’vrai temps, mouill’ou z’un brin. Voilà le temps idéal, mouillez-vous un peu. »
Extrait de l’ouvrage : Balade dans la Manche, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mars 2006.