CHERBOURG, LA HAGUE
Loïc Herry, LA HAGUE AU VENTRE,
par François David
(extrait)
Vite ! Vite ! Que tout s’en vienne !… Le vert profond des arbres !
Qu’on me rende le pays vert ! Les haies, les collines, les rivières… Connaître de nouveau le grondement lointain des vagues, l’air marin, l’air salé !
Loïc Herry
Je ne sais plus exactement quand j’ai rencontré Loïc Herry pour la première fois. J’ai connu d’abord ses parents dans un collège d’Octeville. En tout cas, peu après la création des éditions Møtus, Loïc était présent et suggérait des textes ou des auteurs, lisait avec une attention impressionnante et parfois redoutable les manuscrits. Je n’ai pas souvenir de quelqu’un avec une telle connaissance de la poésie contemporaine. Jusqu’à la plus petite ou la plus confidentielle revue. Par intérêt profond. Intime. Vital. Et une incroyable discrétion. Quelques auteurs donnent l’impression de se mettre en avant. Loïc, lui, se mettait plutôt en arrière. Après sa mort, j’ai découvert avec surprise le nombre de textes et de recueils qu’il avait écrits, ainsi que son travail pictural. Il avait essuyé des refus et les lettres envoyées à Christel les évoquent avec un humour apparemment léger, en fait d’autant plus terrible : « J’ai réenvoyé aussi Hic sunt leones… et un texte plus ancien, qui s’appelle Ouest, écrit à partir de ce que je ressens quand je vais à Goury (en gros)… Donc des tonnes de paperasse expédiées… What for ? …. Mais juste pour le plaisir d’en faire des confettis. » Il y a quelque chose d’un peu amer à voir s’estomper malgré tout l’inattention ou les mépris, quand celui qui les a essuyés n’en peut plus rien savoir. Ce sera pour Møtus à jamais un honneur d’avoir édité son seul recueil de son vivant. Pourtant la publication posthume d’autres livres n’en est pas moins indispensable et précieuse, ô combien. Avec, pour le lecteur, cette émotion intense qu’Hélène Cixous a exprimée dans la Préface de Portrait de l’artiste en personnage de roman : « Ici est né un écrivain sans pareil. En le lisant et le découvrant, j’ai eu envie de pleurer… : sitôt trouvé, sitôt repris. Mais l’œuvre demeure à sa place, immense, déchirant bonheur. »
N’avoir été connu ni reconnu de son vivant n’empêchait pas Loïc Herry de témoigner d’une étonnante exigence qu’on aurait plus attendue d’un écrivain installé que de ce jeune poète ignoré à l’apparence frêle. Je me souviendrai toujours de son interview pour un grand journal de la Manche. Cela se passait dans un café de Cherbourg. Le journaliste, dont je savais d’assurance toutes les qualités professionnelles et humaines, avait pensé lui rendre service en le présentant de façon chaleureuse, sans entrer dans le détail de l’œuvre. Ce n’était pas toutefois ce que Loïc attendait. Pour lui, seul comptait qu’il soit rendu compte du texte, avec sévérité ou non, dans l’analyse scrupuleuse. Le journaliste expliquait sincèrement qu’il valait beaucoup mieux, au contraire, ne pas évoquer si directement les poèmes au risque de dérouter les lecteurs et les effrayer par l’hermétisme possible du recueil. Loïc n’en était nullement convaincu et il ne tenta pas de le dissimuler. J’y repense parfois, surtout devant le battage assourdissant et inlassablement répété pour la promotion de telle ou telle œuvre de sortie : de sa part à lui, pas la plus infime concession pour donner l’envie de découvrir son unique livre édité.
[…]
Extrait de l’ouvrage : Balade dans la Manche, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mars 2006.