CHATELUS-LE-MARCHEIX
Pierre Michon, ou l’impossible accomplissement,
par Bernard Blot
(extrait)
La publication des Vies minuscules a été pour tous ceux qui témoignent d’une vraie sensibilité en matière de littérature un événement considérable ; pas dérangeant à proprement parler, non, mieux que cela : un écrivain tout à fait inconnu nous offrait une œuvre d’une très haute exigence, une écriture, à la fois classique et tout à fait singulière, une pensée hauturière, celle-ci et celle-là se modelant et s’aiguisant mutuellement. Pour moi, ce fut une irruption unique et d’autant plus véhémente qu’elle avait la force imparable de l’évidence. Elle exigeait de ma part un projet littéraire mieux assuré, plus réfléchi, des formes d’écriture plus pertinentes, plus simples, plus libérées.
Il y eut aussi une joie particulière et sans mélange, dès la première lecture. Un Creusois natif de Mourioux, que je connaissais depuis ses classes terminales au lycée de Guéret, et dont la passion me touchait infiniment, Pierre Michon, venait enfin de forcer son destin. Je savais que, parmi les éléphants qu’il admirait et qui pesaient sur lui : Balzac, Flaubert, Beckett, Faulkner, notamment, un autre, de nature différente, une sorte de redoutable malédiction de plomb, semblait le condamner à une effroyable stérilité : l’impossibilité de réaliser ce rêve d’une prose sublime dans un livre incontestable. Ainsi, ses amis de l’époque gardent-ils le souvenir d’un vagabond sarcastique et fêtard qui déambulait en discourant fougueusement sur la littérature, proférant des jugements sans appel : on allait voir ce qu’on allait voir. Il refusait de faire autre chose de sa vie que de la brûler à écrire ; cependant, frappé par cette impossibilité mystérieuse et rédhibitoire, il n’écrivait rien. Trop cultivé, trop lucide, brillant dans tout échange, tour à tour charmeur ou insupportable, maniant le paradoxe comme une épée et s’ingéniant à dérouter ses auditoires ahuris en exhibant effrontément ses propres contradictions, méchamment ironique et critique à l’occasion, il agaçait. On pressentait le talent en lui, mais il semblait s’obliger à le comprimer, à le garder dans les geôles de son être, comme pour marquer son dédain des gloires trop faciles et son mépris pour ceux qui les faisaient.
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Extrait de l’ouvrage : Balade en Limousin, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mars 2009