CHAMPAGNAT
Jean Guitton, un penseur dans sa vallée,
par Robert Guinot
(extrait)
Nous sommes au cœur de l’été 1975. Le soleil réchauffe ardemment la Combraille. Jean Guitton est assis, avec quelques amis, sous les ombrages d’un vieil arbre devant sa chaumière sortie des siècles. Le Deveix, un minuscule hameau, domine la vallée de la Tardes, à une vingtaine de kilomètres d’Aubusson. L’académicien porte une veste épaisse, une cravate, son chapeau est posé sur un genou. Il tient à la main sa canne en bois. À son poignet, une montre égrène les minutes et les heures. Je le rencontre pour la première fois. D’autres rendez-vous ponctueront les années qui suivront, jusqu’au 26 mars 1999. Par une journée ensoleillée de printemps, je l’accompagne ce jour-là, avec sa famille et ses amis, à l’église de Champagnat, avant qu’il aille reposer dans la chapelle qu’il a fait construire, flanquée d’un cloître, juste devant sa chaumière. Jean Guitton, en ce printemps 1999, rejoint sa chère épouse, Marie-Louise, décédée en 1974. Il s’est éteint à l’aube du siècle nouveau, lui qui est né le 18 août 1901, à Saint-Étienne. Il a publié, à 87 ans, Un siècle, une vie, exerçant sa mémoire sur les événements qui se sont succédé depuis 1901, en particulier sur ce jour où l’histoire de l’humanité a basculé à Hiroshima.
Dieu, l’éternité, la recherche de la vérité, les pensées de l’âme et du cœur, l’existence de l’homme dans le temps, le passage du temps à l’éternité, l’amour humain, le devenir historique. En ce jour d’août 1975, alors tout jeune journaliste, impressionné forcément par l’académicien, des phrases du penseur catholique se bousculent dans ma tête. Pour l’homme que j’ai devant moi, la Creuse « est le pays de la mesure, du ni trop ni trop peu… », une terre qui est à l’échelle humaine. La Creuse de Guitton n’a pas pour centre Guéret mais Aubusson, la ville où le grand-père de sa mère a été le principal du collège. L’écrivain a donné admirablement sa perception du département dans Une mère dans sa vallée. Il y évoque la Combraille et sa vallée, celle de la Tardes que dominent le château de Fournoux où il est né (« Fournoux a de la perfection ») et le village du Deveix où en 1950 il a acheté une chaumière qu’il a baptisée « La Pensée », en référence à Blaise Pascal, et qu’il a inaugurée le 16 juillet 1971 en présence d’évêques et de l’académicien Maurice Druon. Régulièrement, chaque été des années 1975 à 1992, des moines de Saint-Benoît s’y retireront.
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Extrait de l’ouvrage : Balade en Limousin, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mars 2009