CHAMBERET
Les montagnes sacrées de Marcelle Delpastre,
par Jan dau Melhau
(extrait)
Cela fait trente-cinq ans que nous sommes en dialogue avec Marcelle Delpastre. Déjà dix ans à titre posthume. Je ne me souviens pas que nous ayons jamais échangé un mot dans la langue de l’empire, ainsi que je me plais à parler du français. Soit lors de mes nombreuses visites – je suis monté des centaines de fois chez elle à Germont –, soit par lettres. Gageons d’ailleurs qu’entre tant d’écrivains ici présents, nous sommes les seuls à écrire dans cette langue qui, au dire des beaux esprits, n’en serait pas une et ne pourrait s’écrire, et qu’avec d’autres nous osons nommer l’occitan. Elle a souvent rappelé sa décision – elle avait quelque quatre ans – de « parler patois, comme le grand-père et les petits [voisins] », elle à qui l’on se faisait un devoir de parler la langue de l’école que seul le père, né par hasard à Paris, avait pour maternelle. Car elle vivait dans une famille cultivée, au sens où nous l’entendons, où elle l’entendait, riche d’une langue, donc, ne fût-elle pas nommée, et d’une tradition faite de mots : contes, chansons, proverbes, comptines, randonnées, prières, etc., de musique, de rythmes, de gestes et de rituels. Une culture, n’en déplaise à d’aucuns qui ne peuvent la concevoir que scolaire, livresque, littéraire, franchimande. De plus, elle vivait à deux pas du mont Gargan, pas très loin du mont Ceix (où est un puy Delpastre), avec pour horizon les Monédières, un pays où vous taraude la mémoire humaine, où l’on touche les étoiles, où l’on tutoie l’Univers. Ce patois, il lui fallut attendre l’âge de trente-huit ans et sa rencontre avec l’universitaire Jean Mouzat, bon poète et spécialiste des troubadours, et l’époustouflant polyglotte et linguiste Joseph Migot, qui lui fut un éblouissement, pour lui donner un nom, statut de langue, graphie, et lui dédier son premier poème, « La lenga que tant me platz ». Dès lors, ses deux langues, en bonne égalité (« lorsque je suis en état d’écrire, disait-elle, ce qui doit naître choisit sa langue »), se partageront son œuvre, qui est immense, et avant tout d’ordre poétique, ce qui ne doit pas nous faire oublier son apport essentiel à l’ethnologie limousine et le témoignage rare que sont les sept volumes de ses Mémoires (Saint-Simon côté jardin) écrits sur le tard et qui, publiés à Paris, la firent quelque peu connaître de ce « grand » public si volatil. Elle est, depuis sa mort, revenue au public restreint, congru, des amateurs de poésie.
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Extrait de l’ouvrage : Balade en Limousin, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mars 2009