CESSON
Anne Valleys, tout près de la beauté du monde
par Alain Dugrand
(extrait)
Anne Vallaeys collectionne les sables. Ses amis voyageurs, elle-même, ramènent des plages du monde des poussières d’érosion. Sa maison est devenue un cabinet de géographie. Dans de petits flacons – qu’on ne trouve plus, hélas, chez Ikéa –, il est des sables blancs de neige ramassés à Tulum, cité-État maya du Quintana-Roo ; un autre, ocre pâle, de My Tho, pris à poignées sur une rive du fleuve Mekong ; un rose presque, cristallisé, de Laguna Verde, désert d’Atacama, Chili. Des centaines de sables. Au hasard ? Du sable rouge tuile de Sedona, Arizona, emprisonné dans une capsule de pellicule photographique à Red Rock ; et celui-là, immaculé, une poudre de sucre glace, de la carrière de Boissy-aux-Cailles, Seine-et-Marne. Étrange collectionneuse, tout de même. Il faut savoir que la femme de ma vie est née en Afrique centrale, sur une rive du fleuve Zaïre, au bourg de Yangambi, exactement.
Fleuve, brousse et forêts. Paysages d’enfance cernés de bananiers, percés de pistes de latérite rouge, d’énormes troncs embroussaillés de lianes, de plantes épiphytes, c’est-à-dire des orchidées, qui se nourrissent, voraces, très haut, des moisissures des grands arbres de la jungle humide. Les souvenirs d’Anne.
Quand, hasard de l’histoire, la décolonisation du Congo belge survint, elle s’installa, avec les siens, aux marges du plateau briard. Là, bien sûr, coule la Seine, mais Anne s’attacha à une rivière de rien du tout – en Brie, on dit un ru –, qui porte un nom rigolo, quasi british, Balory. En guise de forêt primaire, elle se contenta de bois civilisés : Bréviande, Rougeot, Sénart. Forêts d’Île-de-France, jardinées de main d’homme. Il reste que, sous ces ramées, se promena un grillot à perruque, Jean de La Fontaine, conteur magnifique.
De dimanche en dimanche, elle suivait son père dans les sentiers de Fontainebleau. C’est ainsi qu’elle s’attacha à cette forêt royale, impériale et républicaine. Très tôt, elle fera la relation imaginaire entre les sousbois enchantés et les poètes qui trouvèrent là le charme nécessaire, le calme propice à l’écriture des sentiments. Ronsard, Voltaire, Hugo, Musset et cette femme exceptionnelle, George Sand. Tant et si bien que ses propres enfants, la famille enfin, ne purent faire autrement que s’éprendre de leur « pays » d’accueil. Anne leur fera découvrir les grandes fermes de Guercheville, les miroirs du Loing sous les murailles de Moret, les roseraies de Clémenceau, l’ami du peintre Monet, magicien. Comment n’être pas réjoui de vivre là où s’élèvent l’abbaye de Jouarre, les mâchicoulis d’un château fort de manuel scolaire illustré, à Blandy-les-Tours ? Et le havre charmant du collectionneur Mallarmé, à Valvins, et le jazz de Django Reinhardt qui s’écoule sur l’autre rive de la Seine ? Et la confiture de rose, avez-vous goûté ? Avez-vous rencontré l’austère rigueur du fief des Époisses ?
D’une certaine manière, Anne écrit des livres sous l’influence de la nature, quelle qu’elle soit. Si, dans ses romans, elle s’est enflammée pour l’îlot de Clipperton, rocailleuse possession française de l’océan Pacifique, pour les forêts guyanaises ou les aventures des Barcelonnettes de l’altiplano mexicain, c’est, je le sais, pleine d’affection et de fidélité aux décors sauvages de l’enfance.
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Extrait de l’ouvrage La Seine-et-Marne, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, 2015