Derrida, Clancier et Poirot-Delpech à Cerisy-la-Salle

CERISY-LA-SALLE

Les Colloques de Cerisy, le grand examen,
par Arlette Albert-Birot
(extrait)

J’ai demandé à l’auteur du Rivage des Syrtes s’il se rendrait au
colloque Julien Gracq annoncé pour 1991. « Ah non, m’a-t-il
répondu, j’aurais trop peur d’échouer à mon propre examen ! »

Michel Tournier, 1990

En juin 2001, je passai à Cerisy pour emprunter quelques volumes. Par le plus grand des hasards, j’arrivai au moment même où des participantes nippones au colloque Michel Foucault : la littérature et les arts, faisaient leur entrée. Je n’oublierai jamais le visage des deux jeunes femmes : il était évident qu’en franchissant le pont du château elles réalisaient un rêve, et que le rêve était à la mesure de leur attente. La pierre, l’espace, le soleil, les prés vert tendre avec vaches et pommiers au lointain, l’austérité souriante du lieu : leur regard rapide et panoramique avait tout embrassé, y compris le bel escalier ciré montant à l’étage, y compris le remue-ménage discret, souriant, chaleureux, provoqué par leur arrivée. En un éclair, elles me rendirent mes premières et lointaines impressions. Tous les habitués le diront, il y a un style et un « mythe » Cerisy. Avec le temps, on en revient un peu, on se familiarise, on s’habitue, on en sourit, mais tous témoignent de l’émotion du premier choc.

En 1952, Anne Heurgon-Desjardins reprit la tradition des lointaines Décades de Pontigny (Yonne), fondées par son père Paul Desjardins en 1910. La jeune femme avait vécu dans cette atmosphère unique où évoluaient d’exceptionnelles personnalités : André Gide, Roger Martin du Gard, Jean Schlumberger, Jacques Copeau, François Mauriac, André Malraux, Jean Paulhan…

Elle eut toute l’énergie et le talent pour prendre la relève, bien entourée par quelques figures de la période de Pontigny, bien secondée par des fidèles comme Maurice de Gandillac, Francis Ponge, Clara Malraux, les Clancier, Jacques Le Goff et d’autres que l’on retrouve au fil des pages de l’indispensable petit ouvrage de Claire Paulhan De Pontigny à Cerisy, un siècle de rencontres intellectuelles (imec, 2002).

Et Cerisy trouva son erre, à la fois haut lieu de réflexion politique, au sens le plus noble, et de méditation sur des sujets scientifiques ou philosophiques à la pensée hardie, cependant que défilaient les écrivains, présents la plupart du temps alors qu’on examinait leur œuvre : Heidegger (1955), Toynbee (1958), Ungaretti (1960), Queneau (1960)… Beaucoup, hors décades trouvèrent à Cerisy un havre amical, le plaisir d’un moment studieux ou tout simplement de détente, et les frondaisons virent séjourner les Ionesco, les Touraine, Jean Follain, Clara Malraux…

Anne Heurgon se rappelait l’année de notre premier séjour, la chambre que nous avions occupée – délicatesse d’une hôtesse au rude accent bourguignon hérité de sa nourrice, ce qui asseyait encore son autorité que nul ne contestait d’ailleurs.

[…]

 

Extrait de l’ouvrage : Balade dans la Manche, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mars 2006.

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