L’unique passion de Mérimée
par José Cucurullo
Dans les années 1860, la Croisette n’est encore qu’un chemin de terre qui longe la baie de Cannes, se perd dans les dunes du côté de Golfe-Juan puis retrouve la route d’Antibes qui continue en direction de Nice. Au soleil d’hiver la foule se presse sur la promenade : aristocrates et bourgeois de toute l’Europe, mais surtout des Anglais aux tenues extravagantes, bas rouges et vestons à doublure de grèbe, qui agacent un chroniqueur célèbre, arrivé depuis peu. Mais il y a pire que les tenues vestimentaires : les sujets britanniques à la suite de Lord Brougham, le découvreur de Cannes, arrivé en 1834, ont acheté des terrains et la bourgade de pêcheurs s’est métamorphosée ; ils y ont construit des villas austères et des châteaux gothiques que déteste le nouvel hivernant, par ailleurs inspecteur des monuments historiques : Prosper Mérimée.
Aurait-il choisi de venir régulièrement à Cannes, comme on l’a prétendu, sous l’influence de son ami Stendhal, qui, l’ayant visitée en 1838, écrivait : « Ici, on peut passer en paix le soir de sa vie » ? En fait l’auteur de Carmen est un homme de santé fragile. Il souffre d’asthme et de diverses maladies respiratoires. Son médecin parisien à bout de ressources lui a conseillé de passer l’hiver dans le midi. Il se rend à Nice en 1856, mais cette année-là les conditions climatiques ne sont pas des meilleures : mistral, glace dans les rues, neige sur les collines. La fréquentation de la ville n’arrange pas les choses : les russes et les anglais trop nombreux, les femmes excentriques et la présence de la duchesse de Mecklembourg que l’on cherche à lui présenter l’incitent à quitter Nice. Il hésite entre Menton, Cannes et Grasse pour jeter son dévolu sur Cannes en l860. Ses deux gouvernantes anglaises lui ont déniché un logement dans la maison Sicard, 6, rue Bivouac-Napoléon (aujourd’hui 3, square Mérimée) non loin de la Croisette.
L’amateur d’art ne pouvait mieux trouver : dans l’encadrement de sa fenêtre le paysage lumineux de la baie s’inscrit à la manière d’une composition picturale qui le subjugue. Sa correspondance en témoigne : « Prenez des turquoises et des lapis-lazuli, voilà pour le fond. Mettez-moi dessus de la poudre de diamant avec des feux de Bengale, ce sera pour deux ou trois petits nuages au-dessus de votre montagne. Quant à la mer, prenez…ou, plutôt, ne prenez pas autre chose que le chemin de fer pour venir la voir. »…
Extrait de l’ouvrage : Balade à Nice, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, avril 2012