Jean Follain à Canisy

CANISY

Jean Follain ou la vérité toute simple,
par Jacques Réda
(extrait)

Jean Follain a principalement écrit, sur son enfance normande, deux livres dont l’un évoque son village natal, Canisy, et l’autre, le chef-lieu même, tout proche, de son département de la Manche : Saint-Lô. Mais c’est à Paris qu’il a consacré le premier de ses ouvrages dont on puisse dire qu’il traite d’un sujet bien déterminé. C’est que dès sa jeunesse Follain avait rêvé de la capitale où, lui qui aurait pu faire, d’après des apparences, un très honorable tabellion (il fut un avocat trop insoucieux de ses honoraires, puis un débonnaire magistrat), l’attiraient impétueusement les prestiges de la vie d’artiste. Or il ne s’agit pas d’insinuer qu’il y sacrifia le souvenir de sa petite patrie. En vérité, et ses Agendas en témoignent, il y mena l’honnête existence qu’un écrivain pouvait attendre d’une ville qui restait, en ces années 1930, la « capitale des Lettres » que saluait alors Cingria. Leur rencontre, dans ce tourbillon à divers étages et plusieurs vitesses, n’a rien de surprenant. Ils étaient faits pour s’entendre sur quelques grands principes, dont celui-ci qu’il n’y a pas de civet sans sang. C’était dans un restaurant de la rue des Canettes où, de sa place des Vosges, Follain se rendait à coup sûr à pied, prenant son temps pour administrer, avec le soin qu’on apporte à la composition d’un poème, une flânerie qu’il aima assez pour en mourir, une nuit, près de la place de la Concorde. Dans ce quartier, il venait de participer précisément à un banquet de notaires, car tout ce qui ressortissait à quelque vénérable cérémonial corporatif voire ecclésiastique le séduisait profondément. Il s’en amusait peut-être (plusieurs fois il m’a demandé comment se procurer le journal Le Porc, organe de la Charcuterie Française), mais c’était encore une façon de se rapatrier dans un temps d’avant la Grande Guerre, et à ses fastes provinciaux. Ayant rêvé de Paris dans son enfance bas-normande, doit-on penser que ce Parisien accompli fut un nostalgique de sa campagne ? Nullement. Une fois pour toutes, elle avait pris en lui une sorte de réalité intemporelle et pour ainsi dire universelle où il n’a cessé de puiser. Et peut-être est-ce là ce qui déconcerte, dépayse tant de lecteurs qu’on voit à leur aise avec les plus houleuses draperies du lyrisme et les haillons sarcastiques ou hautains qui parfois en tiennent lieu. Les poèmes de Follain sont brefs et leurs vers brefs dépourvus non seulement de rhétorique mais des charmes qu’y apportent une prosodie sensuelle ou éthérée, et la métaphore devenue presque de rigueur depuis les comparaisons majestueuses d’Hugo et l’image surréaliste visant aux éblouissements du court-circuit.

[…]

 

Extrait de l’ouvrage : Balade dans la Manche, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mars 2006.

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