Jacqueline de Romilly à Campagne May, route Cézanne
par Monique Trédé
« Je sais de quoi je parle quand j’évoque, avec ferveur, les auteurs de la Grèce classique ; mais je le sais mieux encore quand il s’agit de ces collines. Je ne suis heureuse que là et par elles. Je sais chaque amorce de sentier et ceux qui aboutiront ou finiront perdus dans une broussaille impraticable. Je sais où soufflera le vent, où donnera le soleil, où chaque fleur aura des chances d’être déjà ou encore épanouie… »
À en croire Jacqueline de Romilly elle-même, rien de commun entre la brillante helléniste parisienne, spécialiste de Thucydide et de la Grèce classique, l’universitaire concentrée qui contrôle gestes et propos, et l’Aixoise de Campagne May « gorgée d’admiration, saturée d’exaltation », passionnée de Sainte Victoire, la montagne « dont on consulte les humeurs et dont on admire sans fin les changements de visage »…
De fait quand Jacqueline de Romilly nous accueillait en chaussures plates et revêtue d’un vieux pantalon, cessant tout juste de nettoyer avec ardeur, genoux en terre, le pied de ses oliviers pour aller arpenter en notre compagnie l’un des sentiers de Sainte Victoire, le professeur à la Sorbonne semblait bien loin. Et c’était, dans les années 70, un joyeux départ scandé par les plaisanteries ironiques de Michel Worms de Romilly, son mari, qui lui avait fait découvrir ce pays en 1939, lors de leurs fiançailles. C’est là aussi qu’elle avait trouvé un refuge durant les sombres années de guerre et c’est alors, nous dit-elle, qu’elle apprit à aimer ce coin de Provence où, malgré soucis et dangers elle se sentit entourée par une atmosphère de sympathie et de générosité. Son amour pour ce pays ne la quittera plus désormais. Elle évoque « une terre couverte de végétation, des arbres aux nuances variées de vert, des horizons étendus et la forme de Sainte Victoire dans des rapports de couleur toujours renouvelés. Tel est ce lieu de quiétude, où le repos et la beauté inspirent une vision différente des choses… » La parisienne sédentaire, habituée aux livres et aux pièces closes des bibliothèques, trouve alors son plaisir à parcourir « ces kilomètres de terre ouverte, variée, inhabitée » où l’on respire largement. Et nous marchions vaillamment, sautant parfois d’un rocher à l’autre, saluant ici les coronilles, là les premières tulipes aux pétales pointus dressant leur crête dans l’ivresse du printemps provençal, ou encore gravissant, peinant mais éblouis, les pentes de Sainte Victoire…
Extrait de l’ouvrage : Balade en Provence, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mars 2012