René Daumal à Boulzicourt

BOULZICOURT

René Daumal, ou l’ascension intérieure,
par Zéno BIANU

Boulzicourt. Comme tout un chacun, René Daumal n’a pas choisi son lieu de naissance. C’est donc dans ce village des Ardennes qu’il voit le jour le 16 mars 1908, d’un père instituteur aux idées socialistes et d’une mère originaire de Montigny-sur-Vence. Boulzicourt, ou à peu près nulle part. Qu’importe, dira-t-on. Toute vraie boussole s’oriente selon l’esprit. Et l’espace intérieur se passera toujours de géographie. L’espace intérieur, ou pour Daumal, le seul territoire à la mesure de l’univers. Certes. Et pourtant, quelques souvenirs de petite enfance restitués çà et là, par exemple dans Le Traité des Patagrammes, dont nous vous présentons des extraits, trahissent quelque chose comme une « ardennité » daumalienne, une empreinte très ancienne où la vision déjà le dispute au fracas. « Toujours dans les monts tapent sourdement, ou cinglent avec éclat les marteaux-pilons, toute la nuit, comme les piétinements et barrissements des anciens dinothériums… »

N’est-ce pas là, dans ce chaos rougeoyant de forge et de boue, si révélateur du monde des mortels, que commence véritablement l’ascension du Mont Analogue – cette « révolte des enfants de la Terre qui, avec leurs natures terrestres et leurs moyens terrestres, essayèrent d’escalader l’Olympe et de pénétrer dans le Ciel, avec leurs pieds glaiseux » ?

S’éveiller, ou mieux, se réveiller, renaître (comme le dit si bien son prénom qui évoque les « deux-fois nés » chers à la mystique indienne), s’extraire enfin de la gangue qui nous tient captifs… La trajectoire fulgurante de René Daumal semble marquée tout entière par « le désir et le besoin de percer la croûte ». Jeune lycéen à Reims, en 1922, Nathaniel (c’est le surnom qu’il s’est donné) crée bientôt avec ses « phrères » Roger Vailland, Roger Gilbert-Lecomte et Robert Meyrat une sorte de fratrie initiatique : les Simplistes. « Quatre qui brisèrent les cadres humains, partirent vers la liberté d’eux-mêmes et se trouvèrent unis entre eux… ». Quatre garnements fous de Rimbaud et fascinés par les spiritualités orientales qui vont d’instinct aux extrêmes : rituels, transgressions, éther, opium, roulette russe et « voyages chamaniques ». Daumal inhale du tétrachlorure de carbone et joue en funambule aux confins de la vie et de la mort : « J’étais entré dans un autre monde, intensément plus réel, un monde instantané, éternel, un brasier ardent de réalité et d’évidence… » […]

 

Extrait de l’ouvrage : Balade dans les Ardennes, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, 2004.

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