BORDEAUX
Bordelais et toujours frondeur : Philippe Sollers,
par Philippe Authié
(extrait)
Philippe Sollers est né à Bordeaux. Il s’appelle Joyaux, et c’est trop beau. Ou pas encore assez. Ainsi dit-il tout aimer dans Voltaire, et d’abord ce nom que s’invente Arouet. Lui sera Sollers, un bijou de pseudonyme où vibrent et s’entendent sol, soleil, air, solitude. Et le latin.
De ce premier Bordeaux de l’enfance, il garde le souvenir d’une ville noire, punie de son dix-huitièmisme, fermée, étouffante, « loin du Bordeaux d’aujourd’hui en pleine résurrection, qui respire de façon considérable, vraie capitale du Sud ». Mais, de l’autre côté du cours Gambetta, presque à la campagne, il se sent protégé dans la maison familiale aujourd’hui disparue.
L’enfance est heureuse : les matinées classiques au Grand Théâtre (« où voir chanter Cecilia Bartoli aujourd’hui est pour moi une chose extraordinaire »), et plus encore le premier concert de jazz de Louis Armstrong à Bordeaux : « J’avais 12 ou 13 ans, j’aurais voulu devenir musicien de jazz. »
Mais la littérature.
Car il y a cette petite librairie du centre-ville, un bazar de livres : « Celui que je vois, tiré d’un coin de cet endroit bordélique, c’est L’Expérience intérieure de Georges Bataille. » Nietzsche aussi, « tout de suite », Proust et le grand Mauriac, « accueillant, intéressé ». Aujourd’hui, la petite librairie a disparu. « Quand je viens à Bordeaux, je vais chez Mollat. Denis Mollat est un ami. Sa librairie est une merveille. Après Mollat, nous allons chez Ramet, c’est le meilleur dîner que je fais de l’année. Nous buvons du Haut-Brion sublime et un Château d’Yquem glacé en apéritif puis chambré sur le dessert. »
Bordeaux s’éloigne. Paris, le monde. Philippe Sollers écrit des livres, obtient des prix, crée des revues, ressuscite Artaud, Bataille, relit Sade, Lautréamont, publie, critique, cite, pense, passe à la télévision, vante Debord et Jean-Paul II, s’écrit et se décrit heureux, parce que le bonheur, dans ce monde-ci, est la suprême subversion. Une carrière.
Viennent les éloges, forcément : ceux d’Aragon, de Mauriac, puis de Barthes, de l’avant-garde littéraro-politique des années soixante et soixante-dix, puis, avec Femmes (1983), du public…
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Extrait de l’ouvrage : Balade en Gironde, sur les pas des écrivains, Alexandrines, mars 2008.