DE BORDEAUX À SAINT-MICHEL-DE-MONTAIGNE
Sur les traces de Michel de Montaigne,
par Anne-Marie Cocula
(extrait)
En mars 1571, solennellement, Michel de Montaigne prend sa retraite en Périgord dans la demeure installée sur la seigneurie dont il porte le nom, acquise en 1477 par son arrière grand-père Ramon Eyquem :
« L’an du Christ 1571, âgé de trente-huit ans, la veille des calendes de mars, anniversaire de sa naissance, Michel de Montaigne, las depuis longtemps déjà de sa servitude du Parlement et des charges publiques, en pleines forces encore, se retira dans le sein des doctes vierges, où, en repos et sécurité, il passera les jours qui lui restent à vivre. Puisse le destin lui permettre de parfaire cette habitation des douces retraites de ses ancêtres qu’il a consacrées à sa liberté, à sa tranquillité, à ses loisirs… »
Tout est dit dans cette inscription, en forme de confession, que Montaigne rédige en latin et qu’il placarde dans sa « librairie » pour son propre usage et celui des rares visiteurs qui auront le privilège d’accéder dans le lieu privilégié de sa retraite studieuse. C’est là, au second étage de la tour-porche qui sert d’entrée défensive à sa demeure périgourdine, que le maître de céans a choisi d’installer sa bibliothèque. Elle contient un trésor inestimable et inépuisable, sans cesse enrichi par de nouvelles acquisitions : soit un millier de livres posés sur des étagères qui tapissent les murs en épousant l’arrondi de la tour. Au plafond, des poutres servent de support aux sentences qu’il a fait graver dans leur bois pour mieux s’en imprégner quand il lève les yeux de ses livres ou de ses pages d’écriture. Au fil des ans et du cheminement de sa pensée, il en fait effacer certaines et les remplace par d’autres, puisées dans ses lectures présentes. Les ouvrages de sa librairie, pour la plupart en latin mais aussi en grec et en français, ont pour auteurs de grands Anciens ou des contemporains de la Renaissance : Montaigne les lit, les relit, les annote à la façon des humanistes de son temps qui font leur miel de leurs lectures et inscrivent dans les marges les réflexions qu’elles leur suggèrent. Ses lectures ne cessent pas de nourrir la pensée de Montaigne et l’évolution de sa philosophie tout en lui fournissant une récolte d’anecdotes, d’exemples, de portraits, de récits et de références qui constituent la chair des Essais qu’il ne cessera d’enrichir jusqu’à sa mort : actuellement les spécialistes de Montaigne choisissent comme œuvre de référence l’édition posthume des Essais publiée en 1595 par Marie de Gournay, grande admiratrice de Montaigne, devenue « sa fille d’alliance ».
Extrait de l’ouvrage : Balade en Gironde, sur les pas des écrivains, Alexandrines, mars 2008.