BORDEAUX
Une histoire qui n’en finit pas,
par Pierre Veilletet
(extrait)
Réfractaire au patriotisme local, qui est souvent une façon d’embellir sa prison, j’éprouve toujours quelques scrupules à faire l’éloge du pays où je vis. Voir midi à sa porte n’est-ce pas se rengorger, prendre soi-même la pose en s’attribuant le génie du lieu ? Ubi bene ibi patria, là où je suis bien, là est ma patrie : telle est ma devise, latine donc un peu bordelaise. Le jour où j’ai débarqué dans le port de la Lune, je m’y suis trouvé « à la bonne place » ; mais je le suis également à Sanlúcar de Barrameda, à Bruges, à Naples ou à Lübeck. C’est à distance que les charmes de ma contrée me séduisent le plus ; peut-être alors me manque-t-elle moins que lorsque j’y séjourne. Comme en amour, l’éloignement dessillerait-il les yeux ? Rien n’est moins sûr. Le voyageur est un diable solitaire, chacun sait cela, et souvent frappé de cécité… Serait-ce parce que du sang flandrien m’empêche d’être un pur produit du terroir ? Peu probable puisque le métissage se pratique ici depuis l’antiquité. Du reste, les fines attaches retiennent mieux que l’enracinement et ses grosses racines qui se contentent d’assigner à résidence. En vérité, semblables scrupules ne font pas de moi une exception : sur ces terres, on mesure plus volontiers ses éloges que sa réserve. Bien sûr, il apparaît de temps à autre un barde local qui force la note, mais les vrais dithyrambes émanent plutôt des visiteurs de goût, à l’instar de Victor Hugo ou de Stendhal, il est vrai peu lésineurs en matière d’admiration et de superlatifs.
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Extrait de l’ouvrage : Balade en Gironde, sur les pas des écrivains, Alexandrines, mars 2008.