BORDEAUX
Michel Suffran
L’Éternité de l’enfance,
par Rodolphe Martinez
(extrait)
Michel Suffran a l’enfance ardente. La seule page impossible à tourner, indépassable. Michel Suffran a-t-il écrit ses livres avant l’âge de 10 ans ? Une œuvre considérable, puissante où « se glisse une petite ombre clandestine et têtue », l’enfant. Cet enfant au costume de marin, au regard effaré qui s’absente du cœur des adultes et verrouille l’horizon vit au grand jour chez l’auteur. Michel Suffran est né à Bordeaux, rue Saint-Rémi, à une respiration du port, des flots de la Garonne, des départs ; mais dans les replis de son histoire, il y a le Lot-et-Garonne, une terre émouvante, un royaume provincial, le royaume de Mézin-en-Albret, où le paysage ordonne : « Regarde ! » C’est aussi la terre maternelle, celle des contes et légendes, des souvenirs, qui feront de Michel Suffran un écrivain. Pour comprendre cette part fondamentale, il faut lire La Réunion de famille. Le lecteur entre dans la vie de Michel Suffran par le truchement du tableau de 1867 du peintre impressionniste Jean-Frédéric Bazille. Porte métaphorique de cette réunion de famille. Un lieu qui figure peut-être cet espace entre deux mondes où nous attendent ceux que nous aimons pour l’ultime et définitive réunion de famille avant l’inconnu.
La vie de Michel Suffran, c’est la ville de Bordeaux, ce coin de Mézin, la guerre qui casse, des « échardes » dans la mémoire, « une ville incendiée », la troupe de marionnettes de la boîte en bois blanc, les éclats de voix du Guignol Guérin du jardin public et le début d’une nouvelle ère avec la découverte du théâtre.
Michel Suffran sera médecin durant une trentaine d’année. Mais l’écriture frappe avec insistance à sa porte. Elle va prendre des formes diverses : pièces radiophoniques, films, biographies, textes, essais, nouvelles, poésies. Une inlassable curiosité qui va le mener à raconter Dino Buzzati, Cyrano, le Guignol Guérin, les grandes heures de Bordeaux, son Aquitaine secrète, à inventer Sébastien Lechat. Une production intense, fiévreuse et généreuse. Michel Suffran l’avoue : « J’écris tant que le vent souffle. » Il écrit vite mais pas facilement et considère ses livres comme des bouteilles à la mer.
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Extrait de l’ouvrage : Balade en Gironde, sur les pas des écrivains, Alexandrines, mars 2008.