Légendes de la forêt des Ardennes à Bogny-sur-Meuse

BOGNY-sur-MEUSE

La forêt des Ardennes ou l’âge d’or des légendes,
par Pierre DUBOIS
(extrait)

« On dit qu’il est déjà dans la forêt des Ardennes, avec maints joyeux compagnons, et que là tous vivent comme le vieux Robin Hood d’Angleterre. On dit que nombre de jeunes gentilshommes affluent chaque jour auprès de lui, et qu’ils passent le temps sans souci, comme on faisait dans l’âge d’or », raconte Shakespeare dans sa riante comédie Tant qu’il vous plaira pour évoquer Roland des Bois, le vieux Duc proscrit. La forêt du poète est sœur de celle de son Songe d’une nuit d’été sur laquelle régnait Obéron et Titania. On y croise aussi bien des cerfs, des sangliers que des lions et des ours, tout autant que la faune fabuleuse des fées et des lutins…

C’est sous l’impénétrable feuillage de la forêt chevelue et sans fin des Ardennes que viennent se réfugier les chevaliers errants, les brigands de cœur, les rêveurs de rêves autour du chêne de l’Homme vert, rejeton du dieu Cernunnos, gardien cornu des ultimes et précieux éclats de l’âge d’or.

L’âge d’or ce sont ces jours lointains et heureux lorsque les vaillants paladins partaient à travers bois et périlleuses lisières en quête d’aventure. On allait pourfendre les dragons, affronter ogres et tyrans, réveiller d’un baiser les princesses dormantes, délivrer de leurs plus hautes tours les Belles à nulle autre pareille. C’était le temps des « Il était une fois, quand les bêtes parlaient… »

Or il n’existe que deux lieux toujours verts où continue de pousser l’herbe magique des légendes : Brocéliande, la forêt de Merlin et des chevaliers de la Table ronde, et celle de Maugis et des quatre fils Aymon.

L’herbe des légendes est une herbe fort précieuse. Les « dames sages », les cueilleuses de simples l’appelaient « tourmentine » ou encore « le brin d’égarement ». On affirmait que celui qui marchait dessus par inadvertance, en respirait le parfum, se trouvait pour toujours « encharmé » par ses sortilèges. Il aurait beau aller et venir dans toutes les directions à la recherche d’une sortie, d’une échappée au milieu des buissons, toujours le sentier le ramènerait au cœur de la forêt… car désormais l’Esprit des lieux était entré en lui.

C’est ainsi qu’on se retrouve à jamais « enforêsté », sans cesse à la recherche des échos de l’âge d’or.

Il est bien certain que dans l’enfance, j’ai dû – par aventure – fouler une de ces plantes lutines – quelque part en vagabondant autour de la Roche-à-sept-heures, le long des crêtes de Monthermé ou sur les pentes bourrues du plateau de Rochehaut… car du légendaire de la forêt, de ces ombres secrètes, jamais je ne me suis sorti. Même lorsque plus tard j’ai dû suivre mes parents pour emménager dans une petite bourgade déforestée du Nord, j’emmenais avec moi, enraciné tout au fond de mon âme, un surgeon du chêne de Maugis… Et sans cesse il a grandi jusqu’à envahir de ses murmurantes frondaisons chacune de mes pensées, me ramenant au détour de chaque jour vers les lieux légendaires de la forêt d’Enfance.

Il en va ainsi, je crois, pour tous les Ardennais d’humeur buissonnière, qui une fois, par hasard, ont frôlé l’herbe de grâce. Le temps d’un battement de paupière, la porte du Bienheureux Royaume s’est entr’ouverte devant eux… Et on sait que celui qui la franchit n’en reviendra jamais.

[…]

 

Extrait de l’ouvrage : Balade dans les Ardennes, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, 2004.

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