Victor Hugo à Bièvres

BIÈVRES

Victor Hugo et la vallée en fleurs
par Arnaud LASTER
(extrait)

C’est Adèle Hugo, femme du poète, qui va nous servir de guide pour accéder au lieu de l’actuel département de l’Essonne le plus fréquenté par Hugo:

«Laissant derrière vous la barrière d’Enfer […] vous descendez dans la vallée de la Bièvre, si charmante […] et alors s’ouvre sous vos pas une route qui conduit à une maison hospitalière dont la grille était nuit et jour ouverte à l’époque dont nous parlons. On longeait une allée sablée et ombreuse, et on arrivait à la maison, d’apparence modeste, plus étendue que haute, de construction irrégulière, bâtie dans un jardin, qui,  agrandi peu à peu, avait pris les proportions d’un parc. Cette maison, appelée “Les Roches”, appartenait à M. Bertin l’aîné, rédacteur en chef du Journal des Débats qui l’habitait l’été, et dont M. Ingres nous a laissé un si remarquable portrait.»

Ainsi commence le chapitre consacré aux Roches sur le manuscrit qui précède le texte définitif de Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie et qui a été publié en 19851. Adèle Hugo y évoque les trois enfants de M. Bertin : Édouard, peintre de paysage, Armand, qui succéda à son père à la tête des Débats, Louise, «rare intelligence, poète et musicienne, tour à tour, et qui, frappée par la vie, s’en est noblement vengée en la vouant à l’Art ». Pour Louise, paralysée en effet des membres inférieurs, et compositrice, en 1831, d’un Fausto, créé au Théâtre Italien de Paris, Hugo a accepté de tirer un livret de son roman publié la même année, Notre-Dame de Paris.

L’histoire de leur collaboration, occasion de multiples visites et séjours aux Roches, jusqu’à la création, en novembre 1836, de l’opéra, intitulé finalement La Esmeralda, à l’Académie royale de musique, où il subira une violente cabale, s’étend sur huit ans, mais l’histoire de leur amitié sur près de cinquante, de 1828, date à laquelle, d’après Adèle Hugo, les rapports de Hugo avec la famille Bertin auraient débuté, sous les auspices du poète Antony Deschamps, jusqu’à la mort de Louise en 1877. La correspondance de la musicienne et du poète, enrichie de lettres charmantes des enfants de celui-ci, et complétée par les missives des proches,nous renseigne abondamment sur la genèse de La Esmeralda.

Hugo ne publie pas un recueil lyrique sans qu’une pièce au moins y soit dédiée à son amie : datée du 7 juillet 1831, « Bièvre» (Les Feuilles d’automne, XXXIV), que l’on va lire ici, est la première. Adèle Hugo, dans une lettre adressée, dix jours plus tard, à son mari, alors aux Roches, imagine que « Louise a eu les larmes aux yeux, il y a une telle mélancolie là-dedans ! […] et la manière dont tu les dis fait vibrer le cœur». Hugo confirme que la lecture de ces vers a enchanté ses hôtes mais une lettre de Louise Bertin à Léopoldine, en juin 1833, montre qu’elle idéalise moins les Roches que le poète et se montre sensible à la pollution que causent les teintures employées par les usines d’indiennes et de cotonnades fondées par Oberkampf:

« Notre vallée n’est pas aussi champêtre que ton papa le croit, ma chère Didine. La civilisation s’y fait sentir comme ailleurs. Par exemple, lorsqu’on est tranquillement à regarder les rayons du soleil danser sur la prairie, on voit tout à coup la Bièvre se charger d’indigo ou de cochenille ; ce n’est rien. C’est de l’industrie qui passe, mais qui n’en salit pas moins les bords de la rivière. »

[…]

 

Extrait de l’ouvrage : Balade en Essonne, sur les pas des écrivains, Alexandrines, 2010

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