ARRAS
Vidocq : Le Vautrin d’Arras
par Bruno Roy-Henry
(extrait)
Pourquoi évoquer Vidocq quand on aborde les auteurs ayant vécu à Arras ? Parce qu’il y est né et que les Mémoires qu’il a laissés à la postérité le rangent indiscutablement parmi les écrivains, aussi étrange que cela puisse paraître de la part d’un bagnard reconverti dans la police… Sa maison natale, rue du Miroir-de-Venise a disparu, il a pourtant bel et bien été baptisé en la paroisse de Saint-Géry. On sait que les premières victimes de sa proverbiale énergie furent les chiens et les chats du quartier, avant qu’il rosse d’importance les autres garnements qui pouvaient lui faire de l’ombre. Il ne s’arrêtera pas en si bon chemin et brisera aussi bien des cœurs. Les premières fréquentations des estaminets mal famés le conduiront rapidement à la vieille prison des Baudets. Un garçon qui savait un peu de latin… Il parcoura, 17 ans, le lacis des ruelles de l’ancien centre, avant de partir pour des horizons lointains et moins heureux. Mais reviendra toujours à Arras et pas seulement pour y retrouver sa mère.
C’est d’ailleurs sur place qu’il convolera pour la première fois avec Louise Chevalier, une autre enfant du pays. Cette brune passionnée que l’on dit laide jettera pourtant son dévolu sur notre gaillard un peu trop séducteur. L’avait-elle déjà remarqué au cours de leur enfance ? La famille proche du terrible Lebas fera comprendre à notre militaire manqué qu’il faut savoir faire une fin… Et Vidocq sera épicier ! Mais il n’avait pas la vocation : rester planté à attendre le client, ce n’était pas pour lui. Le démon de l’aventure le tentait trop pour qu’il s’assagisse si vite. Il reprendra son bâton de voyageur, pour d’autres conquêtes qui le conduiront au bagne. Celui de Brest d’abord puis Toulon. Il parviendra à s’en évader, justifiant par là son surnom de « roi de l’évasion » ! Tout cela assurément ne pouvait manquer de donner matière à roman…
Car Vidocq ce sont aussi ses Mémoires qui marqueront les plus grands écrivains de son temps, comme Prosper Mérimée qui note que l’on commence à parler argot dans les salons des duchesses, en 1828, après que le forçat eut donné sa mesure pour emprisonner ses anciens compagnons de chaîne. Parfois phénomène de foire, le lutteur séduira par son esprit, son langage coloré qui passeront à la postérité via des célébrités comme Victor Hugo, Alexandre Dumas, Eugène Sue, et Balzac.
Personne n’oubliera la figure de Jean Valjean, ce bagnard reconverti en industriel philanthrope, mais ceci ne doit pas nous faire oublier le personnage de Vautrin, cette figure de sanglier dont Balzac campe les inquiétantes postures dans sa Comédie Humaine. Vidocq inspire toute la génération romantique et la source est bien là, dans ses Mémoires qu’il a lui-même écrits en grande partie d’une plume parfois lourde mais toujours tonitruante ! Certes ce fut une affaire d’argent où des teinturiers (les nègres de l’époque) plus ou moins inspirés tentèrent de traduire en mots les aventures picaresques du héros. S’évader des bagnes les mieux gardés, devenir contrebandier, corsaire, malfrat puis se reconvertir en indic de la police pour l’intégrer ensuite et fonder un des services les plus efficaces de la police de Paris : la brigade de sûreté générale ! Y prendre l’ascendant sur ses supérieurs, servir tour à tour Napoléon, les Bourbons, Louis-Philippe, pénétrer dans l’intimité des grands, résoudre les affaires les plus difficiles, faire échouer des complots contre les monarques : telle fut la vie de cet homme aux multiples identités.
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Extrait de l’ouvrage : Balade en Pas-de-Calais, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mai 2006