AMIENS
Vincent VOITURE, un faux Picard
par Pierre Brunel
(extrait)
Lit-on encore Voiture ? Mérite-t-il de l’être ? Daniel Mornet, qui avait fait de la Préciosité le nécessaire prologue du Classicisme français auquel il était tant attaché, a heureusement parlé, à son propos, de « poésies fugitives ». Le volume dont Henri Lafay a reproduit la couverture dans son édition des Poésies ( 1971) qui fait aujourd’hui autorité , Les Œuvres de Monsieur de Voiture, présente l’aspect d’un tombeau, moins dans le sens funéraire du terme, que dans le sens ancien repris par Mallarmé : un hommage, un exemple offert à la postérité et comme pour l’éternité. Tel qu’en lui-même l’éternité ne le change pas, Voiture apparaît comme un poète léger, frivole même. On a même pu le caractériser comme un funambule des lettres. C’est ainsi que le présente Jean Serroy, dans sa belle anthologie de la poésie baroque (1999) : « Sachant toujours faire retomber ses vers sur leurs pieds, il fait preuve de ces élégances maniéristes et parfois compliquées qui sentent leur mondanité ; mais cultivant le futile comme une philosophie de l’existence, jouant de l’instant sans se préoccuper même du devenir de ses œuvres, lesquelles ne seront publiées qu’après sa mort, il incarne mieux que beaucoup d’autres cette façon très baroque de faire de sa vie un jeu ».
Sans doute Voiture avait-il publié quelques poèmes, – un petit nombre seulement, telles Les Poésies et Rencontres du sieur de Neuf-Germain ( 1630), où il s’est abrité derrière un pseudonyme qui est l’un de ses nombreux masques. Six mois avant de mourir, il disait à la marquise de Rambouillet : « Vous verrez qu’il y aura quelque jour d’assez sottes gens pour aller chercher çà et là ce que j’ai fait , et après le faire imprimer ». C’est Tallemant des Réaux qui le rapporte dans ses Historiettes. Homme de l’instant, il voulait sans doute oublier ce qu’il avait écrit et ce qu’il avait vécu : tout cela n’offrait à ses yeux que la grâce de l’éphémère.
Pourtant, il était plus enraciné qu’il ne paraît, ce Vincent Voiture. Aucune terre de ce nom ne lui permit jamais de prendre la particule, comme celle de Nerval reste attachée à Gérard Labrunie. Il était roturier, fils d’un marchand de vin. Il n’en tira ni gloire ni déshonneur, même si certains mondains le chansonnaient en faisant rimer Voiture avec roture. Mais il est vrai que sa prédilection alla à une autre atmosphère, celle de l’hôtel de Rambouillet, où il fut introduit très tôt par M. de Chaudebonne, gentilhomme de Monsieur, c’est-à-dire de Gaston d’Orléans, le frère de Louis XIII.
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Extrait de l’ouvrage : Balade dans la Somme, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mars 2007