Aigues-Mortes
Raymond Lasserre gardien d’un temps révolu,
par Vincent Lasserre
(extrait)
On peut être le fils d’un homme et néanmoins ne pas être en mesure de le cerner et, abusé par ses zones d’ombre, de le comprendre. Enfant du baby-boom d’après guerre, plongé dans la marmite du rock’n roll, je ne consentais à apprécier la poésie qu’à travers Brassens ou Nougaro. Celle de ce père constamment critique de la modernité et laudateur infatigable des temps anciens me semblait bien ringarde et me laissait de glace.
Raymond Lasserre naît à Aigues-Mortes, le 5 octobre 1908. Devenu très tôt orphelin de mère, il est élevé par sa grand-mère et ses tantes, dans une famille où les femmes, veuves ou célibataires, tirent leurs revenus du commerce (bars, épiceries). De 1921 à 1926, il est pensionnaire, d’abord à l’école de commerce et d’industrie de Nîmes, puis aux Arts et Métiers d’Aix-en-Provence, d’où il sort avec un brevet d’ajusteur-mécanicien. Ses compétences le conduisent à Toulouse en 1927 où, engagé par le fameux constructeur d’avions Latécoère, il a la chance de côtoyer les « stars » de l’aviation commerciale et postale auxquelles il rendra hommage dans un poème lyrique baptisé « Mermoz ».
Malgré des études résolument tournées vers les techniques et leurs mises en application, il est néanmoins féru de littérature et consacre beaucoup de temps à dévorer la poésie classique, d’Hugo à Baudelaire, en passant par Péguy, Mallarmé et Alfred de Vigny. Viendront plus tard Mistral et les poètes félibres et, à un moindre degré, Verlaine et Rimbaud, l’infernal duo. Ses premiers alexandrins – la forme poétique à laquelle il restera toujours fidèle – semblent dater de 1924-1925. Jeune écolier romantique, ses strophes sous influence alternent les amours déçues, partagées ou déjà sans lendemain, véritables cris du cœur d’un adolescent tourmenté. Mais il peut aussi écrire, en 1926, « Les ratés », qui témoigne, à dix-huit ans, de la lutte que se livrent en lui le vice et la vertu :
Cœur d’apôtre, raison d’athée
Ah ! l’effroyable et vaine rixe.
[…]
Extrait de l’ouvrage : Balade dans le Gard, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mai 2008