Nîmes
Jean Paulhan, un Nîmois tranquille,
par Christian Liger
(extrait)
Jean Paulhan, chacun en parle, mais peu l’ont lu. On conserve de lui une image et une silhouette, mais c’est pour s’avouer aussitôt qu’on n’a jamais pu saisir que ses paradoxes et ses contradictions.
Tour à tour professeur, chercheur d’or, zouave, directeur de la Nouvelle Revue française et fondateur des Lettres françaises, cet homme tranquille a tranquillement soutenu les entreprises les plus audacieuses de son temps. Comme en jouant, il a fondé le plus important journal intellectuel de la Résistance. Et ce grand provocateur et fomenteur d’œuvres originales a écrit presque en secret une œuvre de quelque deux mille cinq cents pages réservées à des revues confidentielles et à des tirages limités. Si bien que Jean Paulhan se trouve connu pour des tics, des contradictions ou un machiavélisme qui ne sont pas les siens, alors que la grande œuvre renaissante qu’il a laissée est à peu près ignorée.
C’est dans ses entretiens radiophoniques avec Robert Mallet en 1952, publiés ensuite sous le titre les Incertitudes du langage, que Jean Paulhan a parlé le plus longuement de son enfance nîmoise. Aussi longtemps qu’il parle du langage et de la peinture. Ce qui peut paraître surprenant chez un écrivain qui a quitté sa ville natale vers l’âge de douze ans, n’y a pratiquement plus habité durablement et a consacré l’essentiel de sa quête à résoudre, précisément, les énigmes du langage et de la peinture.
Cette prolixité même porte Nîmes avec ses lumières, ses mentalités, ses garrigues, ses batailles et ses histoires sur un plan essentiel, comme la grande quête intellectuelle – mais sans doute moins conscient.
Dans les années 1860-80, l’érudition nîmoise, c’est l’archéologie romaine. Le père de Jean Paulhan, Frédéric, fait alors ses études au lycée de Nîmes ; et presque chaque jour, dans la cour de la maison de l’un de ses camarades, il passe devant l’une de ces plaques de pierre : celle-ci est à la mémoire d’un nommé Paulianus : D M Pauliano mater et pater filio plissi (« Aux mânes de Paulianus, son père et sa mère à leur fils très pieux »). Comment, dans ce climat, le père de Jean Paulhan n’aurait-il pas rêvé devant ce nom d’où le sien paraît dérivé ? Et comment n’aurait-il pas transmis à son fils la rêverie sur cet être lointain qui dans la même ville portait le même nom qu’eux ? D’autant qu’il y a bien un Paulhan (orthographié Paulian) consul. Ce titre, le père bibliothécaire ne peut l’ignorer, lui qui est le gardien de toutes les histoires anciennes de Nîmes.
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Extrait de l’ouvrage : Balade dans le Gard, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mai 2008